Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'archipel Contre-Attaque

  • : L'archipel contre-attaque !
  • : Depuis les émeutes de mai 2005, la situation de Perpignan et son agglomération(que certains appellent l'archipel) n'a fait que glisser de plus en plus vers les abysses: l'archipel contre attaque en fait la chronique!
  • Contact

Profil

  • L'archipel contre-attaque !
  • Depuis les émeutes de mai 2005, la situation de Perpignan et son agglomération(que certains appellent l'archipel) n'a fait que glisser de plus en plus vers les abysses: l'archipel contre attaque en fait la chronique!
  • Depuis les émeutes de mai 2005, la situation de Perpignan et son agglomération(que certains appellent l'archipel) n'a fait que glisser de plus en plus vers les abysses: l'archipel contre attaque en fait la chronique!

Recherche

4 octobre 2012 4 04 /10 /octobre /2012 16:25

Echenoz2010-BAMBERGER-presse.jpgphoto : Hélène BAMBERGER

Le 29 septembre à Rivesaltes link, les vendanges littéraires, nous ont fait le cadeau (merci particulier à la famille Costepour leurs renseignements quant à l'auteur) de nous prêter le Goncourt Jean Echenoz link , une demi-heure passionnante autour de son dernier livre 14, où l'on ne confond pas littérature et mondanité. Mais avant que n'écoutiez l'interview, lisez le portrait qu'en fait l'écrivain Henri Lhéritier link "Fausse nonchalance, modestie travaillée jusque dans les capacités de production, technique désopilante, distance, glissements continus de sens, invention, art de se faire désirer, on attend Echenoz à chaque livre, chaque page, chaque ligne, chaque mot et chaque mot, chaque ligne, chaque page, chaque livre nous servent un Echenoz dans ses nouveaux habits et le sourire usuel qu’il arbore dans sa glace le matin, en se rasant...

Il ne faut jamais abandonner certaines manies, elles nous font vivre, celle-ci par exemple, lire et relire Jean Echenoz, jusqu’à connaître ses livres par cœur.

Plus simple et plus court de relire sans cesse l’œuvre complète d’Echenoz que la Comédie humaine ou la Recherche du temps perdu.

Echenoz, c’est à peine une dizaine de romans parus en une trentaine d’années aux Editions de Minuit, à la taille de la ligne haricot vert de cette maison : 150 à 200 pages écrites en gros caractères, dans un format original presque carré, 13,50x18,50, un carré assez rectangle somme toute, échenozien donc. Menuisier de l’édition, mon mètre rétractable ne me quitte plus. Je me demande s’il existe un format standard des Editions de Minuit, s’ils ne font pas comme leur auteur favori : prendre plaisir à surprendre, même géométriquement. Sur leur étagère, mes Éditions de Minuit ressemblent à un horizon vallonné, type Vosges blanches.

Attention, il y a une forme d’accoutumance à l’Echenoz qui frise l’alcoolisme. Alcoolisme littéraire dont on ne se relève pas, qui colle un hoquet définitif et une gueule de bois des îles.

Fausse nonchalance, modestie travaillée jusque dans les capacités de production, technique désopilante, distance, glissements continus de sens, invention, art de se faire désirer, on attend Echenoz à chaque livre, chaque page, chaque ligne, chaque mot et chaque mot, chaque ligne, chaque page, chaque livre nous servent un Echenoz dans ses nouveaux habits et le sourire usuel qu’il arbore dans sa glace le matin, en se rasant.


Lac, je viens de me refaire Lac, paru en 1989.

Je ne peux pas le lâcher.

Cette fois, je l’ai lu comme un pêcheur, le fil tendu, attentif au frémissement de la laine placée au sommet de la ligne, mettant dans ma musette toutes les prises rencontrées au fil des phrases. Quelques-unes parmi des centaines :

Sur les bancs des suivants, quelques brochettes d’intérimaires ingèrent de silencieux yaourts.

Ces silencieux yaourts, dont on ne saisit pas l’importance et dont on rit au premier abord, ne sont pas des fantaisies faciles, ils sont tout l’art d’Echenoz, l’originalité de son regard et la force de sa langue, il y a en effet, en eux, quelque chose d’un laitage acidulé et stupéfait. Qui grumelle.

Nous sommes au bas des Champs-Élysées. Lac est un itinéraire parisien dans les pas et les roues d’agents secrets complètement bidons.

On remonte un peu l’avenue : Depuis le trottoir, des voyageurs venus du Wisconsin ou du Schleswig-Holstein s’étaient risqués jusqu’au milieu de l’avenue.

Ces agents s’appellent Vito Piranese ou Frank Chopin ou par exemple Vital Veber, auteur d’un mémorable Perspectives du colloque d’Arkhangelsk qu’il compléta, quelques années plus tard, par un non moins inoubliable Les leçons du congrès d’Anchorage.

L’histoire on s’en fout un peu, elle est le pain du sandwich, c’est le pâté qu’on y trouve, odorant, persillé, lardé, salé, qui est infiniment digestible.

Je continue à garnir ma musette.

Ben moi, dit Chopin, c’est les mouches. Comme elle souriait il lui parla de quelques mouches qu’il étudiait, les brunes, rousses, rouges, orangées et violettes, les vitreuses et les ferrugineuses aux genoux jaunes, à l’œil vert ou bleu vif, et de ce qui est risible dans leurs mœurs.

Les mœurs risibles des mouches, ce n’est pas gratuit, Chopin est en effet un spécialiste des mouches d’espionnage, il les sélectionne, les élève dans des cages, les entraîne, leur colle un micro sur le poitrail et les envoie voleter autour de ses cibles, immanquablement, écouteurs sur les oreilles, au bout de quelques secondes, il n’ouit plus que le chant des oiseaux et le bruit de l’air, parce que sa cible a ouvert la fenêtre et que les mouches ont volé au-dessus des arbres à des kilomètres du type qu’elles étaient censées espionner ou bien il n’entend plus rien parce qu’un coup de journal plié (un journal économique de la veille) les a aplaties contre une vitre.

La mouche, ce n’est plus ça, dit-il.

Mortalité séculaire des mouches, leur fragilité de papier, pourtant depuis l’invention de l’imprimerie, cette race aurait dû assimiler les dangers du journal massue.

Le monde d’Echenoz est moderne et suranné à la fois et génétiquement inhabile.

Lorsqu’on prend une voiture cela peut-être une Fiat élémentaire ou alors une Karmann-Ghia, allez savoir pourquoi.

Voici le premier passage à Rungis, le pavillon des abats, lieu de rendez-vous avec le patron du service, le colonel Seck : On imagine bien que c’est pour faire des effets, qu’on se rend là-bas pour se poiler. Nous on ne demande que ça. Des hommes vêtus de blanc sanglant se passent un demi-bœuf, quinze poissons morts pour rien mordent la poussière à l’entrée du pavillon de la marée, un cariste charme seul un serpent de cent mètres de chariots.

Trente pages plus loin, on y retourne, on en veut encore, on est saisi par le tumulte infernal de la tripe puis par ces dizaines d’hommes…sculptant le viscère en proférant des chiffres autour de leurs étals bourrés de bacs de foies, de sacs de cœur à prendre, séminaires de cervelles et foules de pieds, lignes de langue tirées de l’invisible, poumons à la pelle et rognons à gogo, quintaux de ris, tonnes de mou, masses de rates et milliasses de joues rouges estampillées d’un tampon vert.

Un ventre de Paris comme la hotte d’un père Noël ordurier, un Zola de la triperie revu par un dessinateur humoristique.

Je vais m’arrêter avant que l’éditeur ne me secoue le paletot pour citations excessives et illicites.

Ah, oui, ça encore, ce couple embarrassé de son chien : pour se toucher et s’embrasser il leur fallait sans cesse éviter ce chien, repousser ce chien, se frayer un chemin dans le non-chien, prodige d’une écriture née d’une observation banale.

Echenoz c’est la transformation du monde en littérature, c’est un univers où il faut se frayer un chemin dans le non-chien et où on n’est pas assommé par des milliasses de pages.

Allez une dernière, cette fois pour le style et la construction. C’est une femme de ménage dans le couloir d’un hôtel (Echenoz l’appelle l’aspiratrice) : Vero fit la moue et puis rugir son engin.

Bon, je m’arrête, c’est trop bon."

Henri Lhéritier

Voir aussi

Vendanges Littéraires:Cécile Coulon, un écrivain sans avoir à mettre "jeune" devant son tatent! interview 

http://www.larchipelcontreattaque.eu/article-vendanges-litteraires-cecile-coulon-un-ecrivain-sans-avoir-a-jeune-devant-son-tatent-interview-p-110823785.html

Michel Onfray à Rivesaltes: "Je n'ai pas voté pour Hollande, justement parce que je suis un homme de gauche!" interview 

http://www.larchipelcontreattaque.eu/article-michel-onfray-a-rivesaltes-je-n-ai-pas-vote-pour-hollande-justement-parce-que-je-suis-un-homme-de-110782443.html

Rivesaltes, vendanges littéraires: le retour de Michel Onfray, le Goncourt Echenoz, la jeune Cécile Coulon...interview Bernard Revel 

http://www.larchipelcontreattaque.eu/article-rivesaltes-vendanges-litteraires-le-retour-de-michel-onfray-le-goncourt-echenoz-la-jeune-cecile-110674656.html

Partager cet article
Repost0

commentaires